L’histoire que je vais vous conter s’est déroulée il y a bien longtemps, à l’époque où j’étais encore une enfant. Ma vie était auparavant d’une tranquillité déconcertante : j’étais une petite fille solitaire. Les autres enfants du village ne se mêlaient jamais à moi. Je restais dans ma chambre toute la journée, les seules distractions que j’avais étaient mes vieilles poupées de chiffon qui, fatiguées par le poids des années, ressemblaient plus à des fantômes d’un temps passé qu’à des jouets d’enfant. Il ne nous arrivait jamais rien de mal, jamais un incendie, jamais une maladie. Nous n’étions pas bien riches, mais nous n’étions pas à plaindre non plus. Nous avions nos propres cultures de céréales, ainsi qu’un poulailler et une étable. J’aimais traire les vaches et récupérer les oeufs, mais cette vie ne me suffisait pas. J’avais soif d’aventures, d’histoire extraordinaires, pas de cette routine ennuyeuse dans laquelle j’étais en train de m’enliser irrémédiablement. Pour pallier à ce quotidien vide de toute singularité, je me réfugiais dans mes livres de contes, qui mettaient en scène des royaumes tous plus fantastiques et merveilleux les uns que les autres. Mais, dès le livre refermé et poser sur l’étagère, la réalité de ma vie me revenait en plein visage. Heureusement pour ma santé mentale, mon quotidien s’apprêtait à prendre un tournant totalement inattendu. J’avais douze ans lorsqu’au cours d’un hiver bien plus violent que les précédents, mon petit frère, Harold, de cinq ans plus jeune que moi, se retrouva alité de force avec une fièvre grandissante et des frissons. Nous espérions que les choses allaient s’arranger avec un peu de repos, mais plus d’une semaine après l’apparition des symptômes, la situation avait empiré au lieu de s’améliorer. Mes parents convièrent le médecin du village et me firent attendre à l’extérieur de la chambre pendant l’examen. Lorsqu’ils en sortirent après quelques minutes qui me semblèrent durer des heures, je vis à leurs expressions que quelque chose de grave était en train de se produire. Mes parents remercièrent le spécialiste et, après qu’il fût partit, me firent m’asseoir à table avant de m’expliquer ce qui se passait.
- Meera, les nouvelles que nous avons ne sont pas bonnes.
- Qu’est ce qui se passe ? demandai-je. Qu’a dit le médecin ?
- Ton frère a attrapé une pneumonie. C’est le mal de l’hiver, m’expliqua mon père. Il est très difficile à vaincre, surtout sur un si jeune enfant.
Ma mère ne put se retenir de pleurer. De ce que j’en savais, elle avait déjà perdu un enfant, bien des années plus tôt, avant même que je vienne au monde. Il était hors de question que je la laisse revivre cette horreur.
- Comment peut-on le guérir ? Il doit bien y avoir des remèdes ?
- Malheureusement, avec cet hiver, les ressources sont pratiquement épuisées. Nous n’aurons jamais assez de plantes médicinales pour faire un remède à temps… il ne nous reste plus qu’à prier.
Le reste de la soirée se passa dans le silence le plus complet. Nous essayâmes de dîner, mais aucun d’entre nous ne put avaler quoique ce soit. Je montai vite dans ma chambre et me mis à feuilleter hâtivement tous les livres que j’avais pour trouver un remède au mal qui rongeait mon petit frère. J’y passai la nuit entière, mais juste avant l’aube, je dénichai enfin ce que je cherchais, au milieu d’un vieux conte narrant l’histoire d’un prince dont la fiancée était tombée gravement malade et qu’aucun médecin, aucun sorcier de son village n’avait pu guérir.
« Le prince se rendit dans la forêt de Bra’ha afin d’y rencontrer l’esprit de la forêt, un être réputé pour sa capacité à soigner tous les maux et toutes les blessures. Mais le chemin vers les bois était rempli de pièges et de créatures facétieuses et dangereuses : aucun homme n’en était revenu vivant. »
Il ne m’en fallait pas plus pour me convaincre ! La forêt de Bra’ha existait bel et bien, et n’était qu’à quatre jours de marche de mon village. Je n’avais pas le choix : il fallait que je m’y rende, malgré l’hiver et la dangerosité de la faune et de la flore. Mais je savais que jamais mes parents ne me laisseraient faire, ne me croyant pas capable d’endosser une telle responsabilité. Alors, je partirais dans le secret, la nuit suivante, par mes propres moyens. Je leur laisserais une note sur ma table de chevet, pour qu’ils ne s’inquiètent pas, et j’irais trouver l’esprit de la forêt. Je ramènerais le remède qui guérirait mon frère. Ma décision était prise, et je la suivis. C’est ainsi que je me retrouvai, à douze ans, au milieu de la nuit et de l’hiver, à la sortie Nord du village, en direction de la forêt, avec un baluchon de fortune que j’avais improvisé à l’aide d’un vieux sac de farine en tissu et une grande branche tombée dans le poulailler. J’avais emporté le peu d’or dont se constituait mon argent de poche de ces dernières années, une boussole en étant de marche, et quelques provisions (trois grandes miches de pain, deux gros saucissons et du raisin), mais le chemin se révéla vite ardu, le froid mordant me forçant à trouver une auberge dès ma deuxième nuit passée dehors. Par chance, la dame qui m’accueillit était excessivement gentille. Lorsqu’elle me vit, grelottant de froid, déposer ma maigre bourse sur son comptoir, elle repoussa ma main en me disant de garder mon or, et demanda à son cuisinier de m’apporter une assiette pour le dîner. Elle m’installa sur la table près de la cheminée pour que je puisse me réchauffer et sécher mes vêtements que la neige avait humidifiés. J’enlevai ma veste, mes bottes peu étanches et mes chaussettes qui étaient trempées. Je ne sentais même plus mes pieds, après une journée de marche dans ce froid. L’hôtesse d’accueil prit grand soin de m’apporter des sabots pour remplacer mes chaussures. Le cuisinier, qui s’avéra être son mari, était aussi sympathique qu’elle et m’apporta un énorme plat de paupiettes de veau dont je n’aurais même pas pu manger un quart, même si j’avais été affamée depuis trois mois. Le fumet envoûtant du plat se répandit dans toute la pièce. Je mangeai en pensant à mes parents. Je ne leur avais pas laissé d’indice sur ma destination, j’avais pris la précaution de ranger tous mes livres avant de partir. Si mon père avait su où j’allais, il serait déjà venu me chercher.
La dame s’assit en face de moi pendant que je mangeais et me demanda ce qui pouvait bien pousser une si jeune et jolie fillette à se transir de froid pendant des heures dans la neige. Je lui expliquai que mon frère était très malade et que le seul moyen que j’avais de le guérir était de me rendre dans la forêt. Je n’en dis pas plus à propos de l’esprit, ayant peur de sa réaction. Les gens du royaume étaient souvent un peu réticents face aux êtres surnaturels ; pour la plupart d’entre eux, il fallait s’en méfier comme de la peste. Certains ne croyaient simplement pas en leur existence et considéraient ceux qui les cherchaient comme fous. Par chance, mon explication lui suffit et elle me répondit que j’étais très courageuse d’entreprendre un si long voyage pour mon petit frère.
- Tu peux passer autant de temps que tu veux ici. Tu pourras dormir à l’étage, il y a tout le confort nécessaire, et il y a même une baignoire.
- Merci, madame. Je n’oublierai jamais votre hospitalité.
Elle me sourit. Après le dîner, je passai à la cuisine remercier son mari à son tour.
- Je viens de manger les meilleures paupiettes de ma vie. Merci, monsieur.
- Heureux d’avoir pu te restaurer, ma petite. Tout le secret réside dans la qualité de la viande !
Après quoi, je montai me coucher à l’étage sans plus attendre. Il était déjà tard et une nouvelle journée éreintante m’attendait le lendemain. Toutefois, malgré la fatigue que j’avais déjà accumulée, quelque chose me taraudait et m’empêchait de m’endormir. Il y avait un problème avec cette auberge et la gentillesse inespérée de mes hôtes. Je me relevai rapidement tout en essayant de rester discrète. Par précaution, j’avais conservé la dague que j’avais volée à mon père dans la poche intérieure de ma veste. Soudain, une fulgurante douleur à l’estomac me plia en deux, et quelques secondes plus tard, je vomis tout ce que j’avais avalé. Les paroles du cuisinier me revinrent à l’esprit… la qualité de la viande… et en y réfléchissant, je n’avais vu personne d’autre que moi de toute la soirée. Il n’y avait pas un son dans cette auberge en dehors de ceux que je produisais. Sans plus attendre, je ramassais mes affaires à peu près sèches dans mon baluchon et me dirigeai à pas de loups vers la porte… avant de réfléchir. Je ne pouvais pas passer par l’entrée principale, l’hôtesse et son mari m’auraient vue, et dieu savait ce qu’ils m’auraient fait. Coûte que coûte, je défis les draps du lit pour en faire une corde que j’accrochai à une chaise devant la fenêtre. J’ouvris celle-ci et une rafale de vent glacé me siffla dans les oreilles. Je passai la corde par la fenêtre et, mon baluchon sur l’épaule, m’accrocha tout doucement aux draps pour descendre discrètement.
C’était sans compter sur la volonté de mes hôtes de me retenir parmi eux. Avec effroi, j’entendis la porte de la chambre s’ouvrir brusquement, puis la dame cria :
- Serge ? On dirait que le dîner de demain veut prendre congé !
Le dîner. C’était donc ça. Des dévoreurs d’enfants. J’étais arrivée à mi-hauteur du mur quand un visage apparut à la fenêtre, au dessus de moi. Je ne reconnus pas du tout la si gentille dame qui m’avait accueillie et nourrie quelques heures plus tôt. Elle avait les traits bien plus tirés et son sourire dévoilait des dents acérées à faire pâlir un requin. Ainsi, la légende des semi-ogres était bien réelle. Je continuais de descendre en essayant d'accélérer la cadence, mais je sentis la corde bouger dans mes mains. L’ogresse était en train de remonter la corde en ricanant d’une voix de sorcière. Je n’avais plus le choix. Je laissai tomber au sol mon baluchon et sortit ma dague de ma poche, et coupa le noeud le plus proche de moi. Je m’attendais à me briser une cheville au minimum, mais je devais avoir un ange gardien pour me veiller sur moi car j’atterris sur un tas de neige molle, tout en douceur. Je récupérai mes affaires et m’enfuis sans demander mon reste. Il me sembla entendre la porte principale de l’auberge claquer. L’ogre devait être à ma poursuite, mais je courus sans me retourner jusqu’à m’être assurée de l’avoir semé.
L’aube commençait à se lever quand je m’arrêtai, au milieu d’une plaine recouverte de poudreuse. Des montagnes se dessinaient à l’horizon. Je regardai ma boussole. Évidemment, c’était par là que je devais aller. Encore un obstacle à franchir. Je priais le ciel pour qu’il ne soit pas trop tard pour mon frère, et je me remis en marche en grignotant un morceau de pain et de raisin. J’avais le ventre désespérément vide, après avoir vomi mon seul véritable repas depuis mon départ. Le pain eut le mérite de me caler pendant quelques temps, ce qui me permit de traverser la plaine entière sans rencontrer de problème nouveau. Le soleil était à son zénith lorsque j’arrivai au pied de la montagne. Je m’assis sur un rocher pour faire une brève pause. J’avais déjà essuyé plusieurs tempêtes de neige durant ces deux jours, et celle qui se préparait ne s’annonçait pas clémente. De plus, plus j’allais prendre de la hauteur dans la montagne, plus la température allait descendre. Je commençais à me demander pourquoi j’avais eu la bêtise de vouloir partir. Jouer les héroïnes à douze ans en n’ayant jamais mis un pied en dehors de son village sans accompagnateur était dangereux et ridicule. Mais je n’allais pas renoncer à ce stade, pas après avoir échappé à un couple d’ogre et à une météo hargneuse ! Je ne devais plus être qu’à un jour de marche de la forêt. Rassemblant tout ce qui me restait de force et d’espoir, je fis le tour du pan de la montagne devant lequel j’étais pour trouver un chemin.
Je grimpais depuis plus de deux heures quand la tempête recommença à faire rage. Le soleil se couchait, et, pour couronner le tout, j’entendis un concert de hurlements résonner dans le début de la nuit. La chance légendaire qui accompagnait mon voyage depuis le début ne s’était pas encore décidée à tourner. Enfin, jusqu’ici je m’en étais sortie presque sans encombre, je n’avais pas trop à me plaindre. Moi qui rêvais d’aventures encore quelques jours auparavant, j’étais servie ! N’ayant pas envie de m’arrêter en plein milieu d’une montagne habitée par des loups, je luttais pour ne pas écouter mon corps qui n’était plus qu’une courbature géante et la fatigue accumulée par mon manque de sommeil de la nuit précédente. À en juger par la position de la lune, il devait être une ou deux heures du matin lorsque, éreintée, j’atteignis le sommet de la montagne. De là où j’étais, je pouvais apercevoir la forêt à travers la brume et les nuages de la nuit. Les loups hurlaient toujours et je voyais de moins en moins bien, la lumière de la pleine lune ayant du mal à percer au travers des nuages. À bout de souffle et de force, le froid me brûlant la gorge et les poumons à chaque inspiration que je prenais. Je me hâtai dans le premier petit renfoncement que je vis dans une paroi de la roche et bloquai l’entrée avec un gros rocher. Je m’allongeai à même le sol, mon baluchon en guise d’oreiller et mon poing fermement accroché à ma dague, au cas où, mais la fatigue fut la plus forte, et je m’endormis comme une souche pour ne me réveiller qu’au petit matin.
Après avoir repris un peu de pain tout en essayant d’économiser mes provisions, je m’apprêtai à continuer ma route quand j’entendis des jappements juste à côté. À travers un petit trou entre la paroi et le rocher que j’avais utilisé comme porte, j’aperçus enfin les auteurs des hurlements de la veille : toute une meute de loups était là, avec leurs louveteaux. Allons bon. Je ne pouvais pas sortir tant qu’ils étaient là, j’avais peut-être pu échapper aux ogres, mais entre une vingtaine de loups prêts à tout pour protéger leurs petits et un cul-de-sac, je ne donnais pas cher de ma peau. Je m’assis donc derrière le rocher, en attendant qu’ils s’en aillent, mais nous arrivions au milieu de la matinée qu’ils n’avaient pas bougé d’un iota. Je fis quelques pas dans ma petite grotte pour me dégourdir les jambes. Tout ce temps passé retardait la guérison de mon frère…
Perdue dans mes pensées, je ne fis pas attention à où je mettais les pieds et roulai sur un caillou. Je tombai en arrière et ne pus retenir un petit cri de peur, qui alerta immédiatement les loups. Super. J’avais maintenant cinq museaux de loups qui grognaient et montraient les crocs à travers ma porte de fortune. Comment allais-je me sortir de là ? Pas le temps de tergiverser, il fallait que je réfléchisse vite, les loups commençant à pousser le rocher pour m’atteindre. Ce dernier menaçait de céder à tout instant… et c’est ce qu’il fit. Avant qu’ils ne me sautent dessus pour me dévorer, j’entrepris de jouer le tout pour le tout en lâchant ma dague et en m’allongeant au sol pour signifier ma soumission. Je vis les canidés se radoucir un peu et ils vinrent me tourner autour en me reniflant. Ils s’attardèrent auprès de mes provisions et commencèrent à gratter le tissu en couinant. Je compris alors quelle était ma porte de sortie : le saucisson. Tout doucement, je récupérai le sac malgré les grognements, et je l’ouvris vite pour en sortir un saucisson et le jeter au fond de la grotte. Pari gagné ! Les loups s’y précipitèrent et se mirent à table. Pendant qu’ils se concentraient sur la viande, ils ne me prêtaient plus aucune attention. J’en profitai pour m’éclipser discrètement, et commençai à descendre la montagne. J’avais perdu énormément de temps et il allait falloir que je le rattrape. l’après-midi s’annonçait long et aucune pause n’était envisageable. Je pris donc mon repas tout en avançant, manquai de tomber une bonne dizaine de fois dans le précipice, m’écorchai plusieurs fois les mains contre la paroi, mais je finis par arriver en bas, en un seul morceau. Cette fois, j’étais vraiment proche du but. Plus qu’une petite plaine à traverser et j’atteindrais la montagne. Après des tempêtes, des ogres et des loups, qu’est-ce qui pouvait encore me tomber dessus ?
Bizarrement, rien ne vint troubler la dernière ligne droite de mon périple. J’atteignis la forêt en fin d’après-midi, lorsque le soleil commençait à décliner légèrement. À l’orée du bois, les arbres étaient morts, comme tous les feuillus en hiver devaient l’être, mais plus je m’enfonçai dans la forêt, plus les plantes retrouvaient de la verdure. Le soleil devait à présent s’être couché depuis longtemps, mais l’endroit où j’étais brillait d’une lumière nouvelle, une sorte de lueur magique. Je poussai quelques bosquets de fleurs et débouchai sur une clairière encore plus lumineuse que le chemin précédent. D’après ce que j’avais lu dans le conte, j’allais trouver l’esprit de la forêt derrière une cascade où se baignaient des fées et des elfes de lumières, mais je ne voyais aucune créature de ce genre aux alentours. Dépitée d’avoir fait tout ce chemin pour rien, je me couchai en boule sur le sol et, ne pouvant plus les retenir, laissai couler mes larmes de toutes mes forces. Ce que j’avais été sotte ! Non seulement je n’allais pas pouvoir sauver mon frère, mais en plus, j’allais périr ici, à des lieues de chez moi, et mes parents auraient perdu leurs deux enfants. Cela allait achever ma mère, j’en étais sûre…
Après quelques minutes de sanglots, roulée en boule sur le sol, j’eus le pressentiment qu’on m’observait. Sans bouger d’un iota, j’ouvris un oeil et vit une créature magnifique, si belle que personne n’aurait pu l’imaginer, penchée au dessus de moi. D’une voix plus douce que la plus douce des voix, elle me dit :
- Pourquoi pleures-tu, douce enfant ?
Je me relevai, essuyai mes joues trempées, m’inclinai poliment et lui contai mon histoire.
- Tu as parcouru énormément de chemin pour sauver ton frère. C’est très honorable. Je n’ai jamais vu aucun humain parvenir jusqu’ici. Tu as beaucoup de courage. Tu vois ce champignon, là-bas ?
- Celui qui ressemble à une souche d’arbre ?
- Celui-là même. C’est un ganoderme luisant. Ses vertus médicinales sont réputées parmi les tiens, mais personne ne connaît ses pouvoirs magique. Mange le en entier et lorsque tu te réveilleras, tu seras prête à rentrer chez toi. Un petit cadeau sera dans ton baluchon. Donne le à ton frère et ta famille ne souffrira plus d’aucun mal, je te le garantis.
- Oh, merci, esprit. Merci infiniment !
- Ne me remercie pas, Meera. C’est toi qui as sauvé ton frère, ne l’oublie jamais. Tu accompliras de grandes choses, j’en suis convaincue.
Je ne lui avais pas dit mon nom, mais je ne me posai pas plus de questions. Les esprits étaient doués de télépathie et je ne doutais pas un instant de sa bonté. J’avalais le champignon en entier, malgré son infect goût amer. Le paysage tourna un instant, puis je m’évanouis.
Je me réveillai un peu plus tard, au milieu de la neige. Je me relevai et aperçus l’entrée du village à une trentaine de pas. Je me précipitai chez moi. Ma mère hurla en me voyant.
- MEERA ! Mais où diable étais-tu passée ? Nous nous sommes fait un sang d’encre !
Je me précipitai dans la chambre de mon frère. Il était toujours alité et plus pâle que toute la neige que j’avais pu voir jusqu’ici. Sans plus attendre, je déballai mon baluchon et découvrit le même champignon que j’avais mangé dans la forêt.
- Mange ça Harold, mange le en entier !
Il était tellement faible que je dus l’aider à manger. Mes parents arrivèrent dans la chambre comme deux furies.
- Meera, que fais-tu ? Il est trop tard… le médecin a dit qu’on ne pouvait plus rien faire.
Sans les écouter, je continuai à faire manger mon frère. Enfin, la dernière bouchée arriva. Il déglutit péniblement, et nous attendîmes sans dire un seul mot. De longues minutes passèrent, durant lesquelles nous ne vîmes aucun signe d’amélioration. Mes parents, ayant compris qu’il était inutile de poser des questions, retinrent leur souffle en même temps que moi.
Et puis, il se passa enfin quelque chose. Mon frère toussa. Il toussa pendant plus d’une heure. Je crus que c’était fini, que le champignon avait du se périmer, ou perdre son pouvoir en dehors de la forêt. Mais, lorsqu’il s’arrêta enfin de tousser, Harold avait retrouvé ses couleurs naturelles. Sa fièvre avait baissé. C’était inespéré. C’était un miracle ! Le mal était vaincu. On fit venir le médecin, qui n’en crut pas ses yeux. J’avais réussi. J’avais survécu à tous les obstacles et j’avais sauvé mon frère !
Après cette folle histoire, mon quotidien si calme et tranquille me parut bien confortable. Je me contentai de mes livres et de mes poupées de chiffon, et je ne souhaitai plus jamais qu’il ne m’arrive une seule réelle aventure.
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